Pour les Belges qui ne vous connaîtraient pas encore. Qui est Femke Hogema ?
“J’ai travaillé aussi bien dans de grandes que dans de petites entreprises en tant que Financial Controller. J’ai toujours été une sorte d'étrangère. J'en savais assez sur les finances, mais je pouvais me montrer irritante. Ainsi, j’ai toujours posé les questions qu'il ne fallait pas et je faisais parfois comme si je n'y connaissais rien.
Les experts financiers protégeaient bien les affaires financières et le reste de l’organisation faisait semblant de savoir de quoi il s’agissait. Or, l’argent est si important pour les entreprises que nous devons pouvoir en parler normalement. Et pas en utilisant un jargon difficile.
Après avoir travaillé pendant une dizaine d’années, je me suis mise à mon compte. Dans un premier temps en tant que Controller intérimaire, mais je me suis aussi mise à donner de plus en plus de formations financières. À l’époque, j’ai découvert à quel point j’aimais encadrer les entrepreneurs dans ce domaine.
Durant cette période, un éditeur m'a demandé d’écrire un livre sur les finances pour les petits entrepreneurs. C’est alors que les choses ont commencé à bouger pour moi. Ce qui m’a toujours distinguée des autres professionnels financiers, c’est que je voulais rendre les finances intéressantes, pratiques et accessibles. Et ça a marché.
Les entrepreneurs ont souvent du mal à comprendre l’aspect financier de leur entreprise. 'J’ai un comptable qui s'en charge', disent-ils. J’ai vraiment le sentiment d’avoir également contribué à rendre l’argent important dans le monde des entreprises.
Il y a cinq ans, j’ai décidé de transmettre toutes mes connaissances et compétences à des comptables et experts-comptables, afin qu’ils puissent également aider leurs clients à développer une entreprise financièrement saine et rentable. C’est ainsi qu’est né le livre The Profit Advisor.
Nous devons parler autrement avec les entrepreneurs. Cela requiert d’autres compétences. C’est là que commence ma mission : transformer tous les comptables et experts-comptables en conseillers en bénéfices.”
Voilà qui est dit. Dans le livre The Profit Advisor, vous abordez le nouveau rôle des comptables et experts-comptables. Au début de chaque chapitre, vous racontez les expériences d’un entrepreneur avec son comptable. C'est parfois conflictuel.
“Cet expert-comptable et ce client n’existent pas, mais ils sont la somme d’une compilation de nombreux témoignages. J’en ai extrait les extrêmes, mais il s'agit de situations qui se sont véritablement produites.
Ainsi, il n'y a pas si longtemps, je me suis rendue chez un expert-comptable traditionnel avec un client. Vous savez, un bureau qui est rempli de dossiers de clients. J’ai demandé comment allaient les affaires de notre client commun jusqu’à aujourd’hui. 'Je ne sais pas', a déclaré l’expert-comptable. 'Vous devez tout de même disposer de chiffres, car vous avez dû faire une déclaration de TVA ?', ai-je répondu du tac au tac. 'Oui, mais nous l’avons fait manuellement dans Excel, de sorte que les chiffres ne se trouvent pas encore dans la comptabilité', a-t-il rétorqué.
Je ne dis pas que tous les comptables sont comme ça, mais il y a un grand fossé entre la prise de conscience de la meilleure manière d’aider votre client et le simple fait de veiller à la conformité légale. Bon nombre d’entrepreneurs déclarent également ne pas comprendre leur expert-comptable. C’est dommage. L’expert-comptable devrait toujours être la première ligne d'assistance pour les entrepreneurs en cas de problème. Je me suis alors rendu compte qu’il y avait du pain sur la planche.”
Et les experts-comptables ont-ils apprécié de vous voir en compagnie de leurs clients ?
“Non. Des entretiens ont parfois été annulés par trois fois, parce qu’ils n'appréciaient pas ma présence. Ils me considèrent évidemment comme une menace. Ils ne doivent toutefois pas avoir peur, car je ne suis pas un expert-comptable et je ne veux pas non plus l’être. En fin de compte, nous avons le même objectif, à savoir aider notre client commun à réussir sur le plan financier.”
Il s'agit du premier livre à fournir vraiment des outils à l’expert-comptable pour donner un sens au "comment". Auparavant, on ne faisait que crier sur les toits que la profession de comptable allait disparaître ou se verrait en tout cas attribuer un autre rôle.
“J’ai toujours été une personne très pratique. J’explique très souvent comment il faut faire les choses. Quelles sont les questions des entrepreneurs, quelles questions pouvez-vous poser vous-même ? Beaucoup de choses sont très logiques. Il ne s'agit vraiment pas de maths de haut niveau. En revanche, il convient d'agir.”
En Belgique, la plupart des bureaux comptables ont suffisamment de clients et généralement trop de travail. Les clients veulent souvent simplement être en ordre avec la comptabilité, et c’est surtout un sport qui consiste à payer le moins d’impôts possible. L’expert-comptable ne ressent pas encore d'effets négatifs, autrement dit ses prix ne sont pas encore sous pression. Même si la concurrence joue un rôle, les prix étant de ce fait nettement inférieurs à ceux des Pays-Bas. Progressivement (sous la pression d’autres bureaux), vous devrez aussi opérer un glissement, mais comment commencer à évoluer d’un comptable traditionnel en un conseiller (en bénéfices) ou un sparring partner ?
“C’est une question très intéressante, mais le tableau n'est pas complet. La nécessité se fait peut-être moins sentir, mais je remarque en même temps que les experts-comptables belges travaillent souvent beaucoup trop dur. Ils ne parviennent pas à s'occuper de leur entreprise. C'est là le signe d'un certain point névralgique ou d'une nécessité.
Il est possible, même en tant qu’expert-comptable, de travailler moins dur et peut-être de faire des choses plus intéressantes. Tout l’art consiste à trouver un équilibre entre le fait de s'occuper moins de comptabilité pure et de libérer plus de temps pour le client.
Comment s'y prendre ? Il est important que vos processus d’entreprise et systèmes, mais aussi votre équipe, se chargent d’une partie du travail financier standard, afin que vous puissiez hisser votre service au niveau supérieur pour envisager l’avenir avec le client.
Tout commence par la résolution : 'Je vais prendre le temps de le faire'. Le temps ne se présente jamais spontanément, vous devez le planifier dans votre agenda. En continuant à dire que vous n’avez pas le temps, rien ne va changer.
Et qu’allez-vous alors faire concrètement ? Vous pouvez par exemple entamer deux fois par an le dialogue avec le client, en ne mettant pas l'accent sur les chiffres. Mais en lui demandant tout simplement : 'Comment allez-vous ? Comment les choses se sont-elles passées l’année dernière ? Où voulez-vous aller ? Quels sont vos objectifs ? Êtes-vous satisfait ? Qu'aimeriez-vous voir changer ? Que voulez-vous atteindre dans 10 ans ? Pourquoi faites-vous tout cela au fond ?' Voilà déjà une série de questions qui vous prendront une bonne heure. Dans ce type d’entretiens, vous découvrez que le client souhaite quelque chose, et vous pouvez l’aider à l'obtenir. Il en résulte des services de conseil orientés sur le service.”
Voyez-vous déjà de grandes différences entre les bureaux d’experts-comptables aux Pays-Bas ?
“Oui. Il y a toujours des bureaux qui travaillent de manière réactive. Cela signifie que vous attendez que le client vous remette quelque chose, que vous traitez ensuite. Vous pouvez continuer ainsi éternellement. Vous attendez qu’un prospect, qui a ouï dire que vous étiez un bon expert-comptable, vous appelle. Tout cela est réactif.
Heureusement, vous avez aussi un certain nombre d'experts-comptables qui sont proactifs. Qui inversent les choses. Ils prennent l’initiative d'engager le dialogue avec le client, sur ses projets pour 2022, par exemple. Si vous travaillez volontiers avec des clients qui apprécient énormément une approche proactive, vous devrez agir au niveau Sales et Marketing. De cette manière, ces clients trouveront plus facilement votre bureau.”
Les Pays-Bas sont-ils en avance sur la Belgique ?
“Je pense que nous avons une longueur d'avance dans certains domaines. Les clients néerlandais trouvent normal que leur expert-comptable ne se contente pas d'enregistrer des chiffres. Ils posent également d’autres questions. En fait, j’ai du mal à me prononcer à ce sujet.”
Une autre tendance frappante est la vague de consolidation qui fait rage dans le secteur de la comptabilité, surtout en Flandre. Elle a toujours existé, mais c’est beaucoup plus frappant aujourd'hui. Est-ce également le cas aux Pays-Bas ?
“Ce n’est certainement pas une tendance aux Pays-Bas. Je peux m’imaginer que de plus en plus de bureaux veulent fusionner. À un moment donné, la quantité de logiciels dont vous avez besoin en tant que (petit) bureau n’est peut-être plus envisageable. Il n’est pas facile de réaliser le 'bon' puzzle numérique. Sans oublier le prix de revient.”
Au fond, vous êtes assez pessimiste quant aux petits bureaux ?
“Pas nécessairement. Ainsi, en tant que petit bureau, vous pourriez peut-être sous-traiter la comptabilité à une petite usine comptable, comme nous l’appelons ici. C'est vous qui gardez le contrôle, en d’autres termes vous entretenez le contact avec le client. Je vois également apparaître d’autres modèles.”